Volume 2 : Vers de nouveaux sommets : les intérêts et l'avenir du Canada dans l'espace – Novembre 2012

Partie 2
Contexte (suite)

Chapitre 2.4
Possibilités et défis

L'industrie spatiale amorce une période très dynamique, et les 20 à 30 prochaines années offriront aux secteurs privé et public de nombreuses possibilités de promouvoir la sécurité nationale, l'exploitation des ressources et la prestation d'un large éventail de services publics et privés grâce aux technologies, aux applications et aux actifs spatiaux.

L'une des possibilités les plus importantes a trait au rôle que les satellites et l'infrastructure terrestre connexe peuvent jouer dans la promotion et la gestion de l'ouverture du Nord. Les satellites faciliteront la détection des gisements minéraux et nous aideront à surveiller les répercussions des mines et des puits de pétrole et de gaz. Ils nous permettront de mieux appliquer les normes environnementales ainsi que de surveiller et de comprendre le rythme et les effets des changements climatiques. De plus, ils permettront une navigation plus sûre sur les routes maritimes et aériennes du Nord. Enfin, ils appuieront la prestation de services d'éducation, de santé et d'intervention d'urgence aux petites collectivités nordiques dispersées, qu'elles existent depuis des siècles ou qu'elles se soient établies en raison d'une nouvelle activité économique.

[traduction] « Compte tenu des répercussions du réchauffement planétaire sur le climat de l'Arctique et des enjeux de souveraineté connexes, de la forte expansion prévue de l'exploration et de la mise en valeur des ressources, de l'accroissement du trafic maritime et des besoins liés au développement socio-économique du Nord, il existe un argument clair et convaincant selon lequel l'investissement dans le secteur spatial constitue une solution rentable pour mettre en place l'infrastructure requise qui contribuera aux résultats positifs en matière de développement.

Dans certains cas, l'analyse de rentabilité de ces investissements séduira l'industrie, qui y souscrira. Il s'agit généralement d'un soutien direct à l'exploration et à la mise en valeur des ressources dans le Nord ainsi qu'aux industries secondaires, notamment aux transports et à la logistique. […]

Toutefois, dans d'autres cas, la population dispersée du Nord ou la politique publique actuelle rendent non rentable l'investissement purement commercial dans l'infrastructure spatiale. Mentionnons, par exemple, des énormes investissements privés dans l'infrastructure de télécommunications dans le Nord plutôt que des investissements plus lucratifs dans des régions populeuses, ou encore la construction d'une infrastructure de prévisions météorologiques alors que les citoyens y ont accès gratuitement. […] Le développement responsable et la protection du Nord canadien ne sont pas seulement des besoins de développement à court terme, mais plutôt […] des besoins à long terme, stratégiques et vitaux… »

Norstrat Consulting, Canada's Space Sector: The Essential Enabler of Canada's Northern Strategy, rapport de recherche commandé dans le cadre de l'Examen de l'aérospatiale, juillet 2012.

Grâce à une forte présence dans le Nord, et en utilisant les satellites comme instruments clés de politique, le Canada sera en mesure d'accélérer la création de richesses, de protéger l'environnement et d'affirmer sa souveraineté. Compte tenu de l'intensification de plusieurs revendications nationales conflictuelles dans l'Arctique, le droit international et la géopolitique pragmatique exigent que le Canada soit actif dans la région s'il souhaite y protéger ses intérêts.

Outre le Nord, les concepteurs, les constructeurs et les exploitants de satellites, de composantes de satellites, de stations terrestres et de services de traitement de données ont la possibilité de répondre à la demande croissante dans des secteurs aussi divers que l'agriculture de précision, qui optimise l'utilisation de l'équipement, de l'irrigation et des engrais; les transports et la planification urbaine; la météorologie; et l'offre de produits d'information, de divertissement et autres à une clientèle sans cesse grandissante.

« Le Canada est le deuxième pays du monde en superficie et possède le plus long littoral de la planète. En vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le Canada revendique une zone économique exclusive le long de notre littoral équivalant à plus de 70 % de notre masse terrestre. La protection et la gestion d'une zone aussi vaste constituent un défi de taille. En effet, 75 % de notre population vit à moins de 160 km de la frontière américaine, si bien que le reste de notre territoire est peu densément peuplé et difficile d'accès. Nous vivons dans un pays arctique dont le territoire nordique constitue plus de 40 % de notre masse terrestre. En raison de ces caractéristiques géographiques et démographiques, il est extrêmement difficile pour les gouvernements de fournir l'infrastructure essentielle à notre croissance économique et sociale et de gérer nos responsabilités nationales et internationales en matière de sûreté, de sécurité et de saine gestion des ressources. […] Dans un pays aussi vaste et aussi peu densément peuplé que le Canada, les technologies spatiales jouent un rôle exceptionnel et vital en nous aidant à communiquer ensemble et à surveiller notre territoire en vue de saisir les occasions et de contrer les menaces. »

Rapport final du Groupe de travail sur l'espace, septembre 2012.

Enfin, de nouvelles possibilités découlent de l'accroissement exponentiel de l'utilisation de l'espace. On observe, par exemple, un intérêt accru pour le prolongement de la durée de vie des satellites opérationnels grâce à des missions de ravitaillement en carburant et d'entretien. En outre, alors que les pays et les entreprises sont de plus en plus nombreux à envoyer des actifs dans l'espace, on reconnaît davantage la nécessité de repérer les débris spatiaux et de réduire l'encombrement causé par des actifs spatiaux hors service. Ainsi, les satellites opérationnels seront protégés, et de nouveaux actifs pourront être placés en orbite sans risques majeurs de dommages ou d'avaries causés par d'autres objets flottants. Même les actifs spatiaux en bon état devront être gérés et coordonnés attentivement dans le patrimoine mondial de plus en plus fréquenté qu'est l'espace circumterrestre.

Figure 8 : Statut des objets artificiels en orbite, 2012

Figure 8 : Statut des objets artificiels en orbite, 2012

Description de la figure

Ce diagramme à secteurs montre la ventilation du statut des objets artificiels mesurant au moins 10 centimètres actuellement en orbite. Les fragments et les satellites inactifs constituent 87 % des objets artificiels actuellement en orbite, suivis des corps de fusée (8 %) et des charges utiles et des satellites fonctionnels (5 %).

Source : Joint Space Operations Center du Space Surveillance Network des États-Unis, données de mai 2012.
Inclut les objets d'au moins dix centimètres, soit environ 22 000 objets au total.

Les satellites ou engins spatiaux opérationnels ne constituent qu'une très petite proportion des objets artificiels en orbite. Le reste — notamment les fragments d'équipement détruit, les corps de fusées hors d'usage et les satellites inactifs — est considéré comme des débris. Comme ces objets font le tour de la Terre à près de 30 000 km/h, toute collision avec des satellites ou des engins spatiaux habités pourrait être catastrophique. Les puissances spatiales reconnaissent les problèmes que pose le nombre croissant de débris en orbite et discutent activement de stratégies de dépollution, notamment par l'entremise du Comité de coordination inter-agences sur les débris spatiaux, auquel participent 11 pays, dont le Canada.

L'enlèvement des débris et des satellites inactifs requiert une reconnaissance précise des objets en orbite et la capacité de les rassembler en vue de leur élimination en bonne et due forme. En ce qui a trait à la première exigence, le Canada se prépare à lancer son premier satellite militaire, appelé Sapphire, qui suivra en temps opportun la trajectoire des objets dans l'espace. Quant à la seconde exigence, le Canada possède un savoir-faire reconnu à l'échelle mondiale en robotique spatiale, qui pourra être mis à profit pour développer l'équipement permettant la récupération des objets spatiaux.

Compte tenu des possibilités de transformation qui voient le jour relativement aux technologies et applications spatiales, les dépenses publiques mondiales au titre des activités spatiales et l'industrie spatiale commerciale connaissent une forte croissance. Il ne faudrait négliger aucun des deux marchés.

L'industrie spatiale canadienne est bien placée pour tirer parti de ces possibilités. L'un des principaux avantages comparatifs du secteur est sa grande compétence relativement à plusieurs technologies spécialisées, chacune se rapportant à sa façon à la myriade de nouvelles demandes :

  • Les télécommunications par satellite sont essentielles pour répondre à la demande des consommateurs en matière de communications à large bande et de services d'information, et aux exigences du gouvernement se rapportant à la prestation de services et aux déploiements militaires.
  • La robotique spatiale continuera d'être cruciale pour les missions scientifiques et d'exploration financées par les fonds publics, ainsi que pour les initiatives qui s'attaquent à l'encombrement de l'espace et prolongent la durée de vie des actifs en orbite.
  • L'instrumentation optique et l'observation radar de la Terre prendront de plus en plus d'importance dans le contexte de la gestion des ressources naturelles, de la surveillance de l'environnement et de la collecte de renseignements.
  • Les petits satellites sont de plus en plus attrayants pour les gouvernements et les entreprises privées qui désirent effectuer des activités clés dans l'espace à moindre coût et dans des délais plus courts qu'avec des gros satellites.

Par ailleurs, le fait que le Canada soit un chef de file mondial dans les techniques d'exploitation minière permet aux entreprises canadiennes de participer à d'éventuelles initiatives à long terme d'exploitation minière dans l'espace et d'utiliser des actifs spatiaux pour appuyer l'extraction des ressources sur Terre. L'exploitation de minéraux rares dans l'espace demeure très théorique, mais elle suscite néanmoins l'intérêt du secteur privé; dans 25 ou 50 ans, elle pourrait devenir lucrative. Entretemps, les applications spatiales qui facilitent l'exploitation minière ou d'autres activités liées aux ressources naturelles sur Terre se multiplient rapidement.

La géographie du Canada présente également des avantages pour son secteur spatial. D'une part, la vaste étendue du pays et sa situation septentrionale requièrent et, par conséquent, stimulent le développement de solutions technologiques satellitaires qui peuvent être vendues à l'étranger et souvent servir à d'autres fins. D'autre part, le Nord est un emplacement idéal pour les stations terrestres, étant donné que la plupart des satellites d'observation terrestre se trouvent en orbite polaire et passent au-dessus de l'Arctique canadien à chaque orbite. Cet avantage naturel peut être exploité par des entreprises qui cherchent un gain commercial et par des organismes publics qui cherchent à améliorer la collaboration avec d'autres pays grâce à des installations recevant des données par satellite et pouvant être utilisées pour commander et contrôler les satellites.

[traduction] « De plus en plus, les besoins complexes en services de télécommunications et de données sont satisfaits à l'aide de systèmes souples à faible coût utilisant des microsatellites ou de petits satellites. La prolifération de solutions reposant sur de petits satellites témoigne de cette tendance dans le monde, et nombre d'entre elles sont de véritables histoires de réussite. […] Parmi les autres avantages de la réalisation d'un nombre croissant de missions plus petites, mentionnons les suivants :

  • l'abordabilité, ce qui permet de répartir les activités de la mission entre un plus grand nombre d'intervenants canadiens, tant de l'industrie que du milieu académique;
  • l'augmentation des dépenses qui vont directement au développement de la technologie, ce qui contribue au renforcement des capacités dans de nouveaux créneaux pour les marchés d'exportation;
  • la répartition du risque sur un portefeuille plus large. »

Source : COM DEV International, Aerospace Review: COM DEV's Recommendation for a Guiding Framework for Canadian Investments in Space, mémoire présenté dans le cadre de l'Examen de l'aérospatiale.

Enfin, le secteur spatial canadien dispose d'un solide ensemble de réseaux mondiaux et d'une réputation enviable reposant sur les nombreuses réussites à son actif. Pensons par exemple à toutes les réalisations de l'industrie dans le cadre de missions spatiales et à son succès sur le plan des exportations; aux technologies hautement visibles comme les Canadarms, qui font connaître le savoir-faire canadien à l'échelle mondiale; à la participation du pays à des initiatives spatiales internationales, ce qui consolide sa réputation de collaborateur fiable et d'avant-garde; aux liens que l'ASC a noués avec d'autres agences spatiales, en particulier la NASA et l'Agence spatiale européenne (ASE); au Programme des astronautes canadiens qui a remporté un grand succès; et à la participation du Canada au Conseil de l'Arctique, dont les membres partagent des intérêts communs dans le Nord et peuvent être des partenaires dans des initiatives spatiales conjointes.

Malgré ces points forts sur le plan technologique et géographique et cette solide réputation, le secteur spatial canadien fait face à certains défis qui, s'ils ne sont pas surmontés, risquent de nuire à sa capacité de tirer parti des possibilités et de répondre aux besoins du pays.

Figure 9 : Satellites civils à lancer par sous-secteur, de 2011 à 2020

Total des satellites civils à lancer : 531

Figure 9 : Satellites civils à lancer par sous-secteur, de 2011 à 2020

Description de la figure

Ce diagramme à secteurs montre le nombre de satellites civils dont le lancement est prévu entre 2011 et 2020, par sous-secteur. Sur les 531 satellites civils dont le lancement est prévu au cours de cette période, 195 sont destinés à l'observation de la Terre, 115 aux sciences et à l'exploration, 68 aux télécommunications par satellite, 67 à la navigation, 47 à la météorologie et 39 à la démonstration de la technologie.

Source : Euroconsult.

Le premier défi se situe du côté du gouvernement : l'objectif du Programme spatial canadien et son rôle dans la prestation des services et la concrétisation des priorités nationales ne sont pas clairement définis. Ce manque d'orientation semble remonter à au moins 10 ans et s'est manifesté par une planification déficiente, des budgets instables et de la confusion quant aux rôles respectifs de l'ASC et des ministères qui sont de grands utilisateurs de l'espace. Dans un secteur où les projets sont, par définition, coûteux, complexes et de longue haleine, il est particulièrement important d'avoir des objectifs concrets, un financement prévisible et une mise en œuvre méthodique.

Le deuxième défi se situe du côté du secteur privé : la concurrence est limitée et, dans certains cas, il y a une dépendance excessive à l'égard des dépenses publiques. Cette situation reflète en partie le fait que le marché spatial canadien est trop petit pour accueillir un nombre élevé de grands acteurs et que les gouvernements du monde entier demeurent les principaux acheteurs d'actifs spatiaux. Par conséquent, beaucoup d'entreprises canadiennes se sont spécialisées dans les marchés publics et en sont devenues dépendantes. La situation est également attribuable aux approches adoptées lors des premiers jours du Programme spatial canadien, quand des responsables fédéraux ont travaillé avec des entreprises canadiennes pour se répartir les activités d'approvisionnement dans le domaine spatial. Bien qu'il soit important de faire preuve de pragmatisme quant à la taille de l'industrie et d'encourager la collaboration, les entreprises privées doivent faire face aux contraintes de la concurrence à mesure que le secteur se développe dans le monde.

Ceci nous amène au troisième défi : les exemptions prévues dans les règles du commerce international pour des raisons de sécurité sont généralement interprétées comme s'appliquant aux programmes spatiaux. Ainsi, les États disposant de budgets élevés et d'un vaste marché spatial se permettent de favoriser nettement leurs entreprises nationales. Ces pratiques entravent la capacité des entreprises spatiales canadiennes de diversifier leurs marchés, mais des ententes bilatérales entre gouvernements peuvent en partie permettre de surmonter cet obstacle. Un défi connexe concerne le contrôle des exportations et les restrictions imposées par les lois américaines à la collaboration avec la Chine dans le domaine spatial. Les entreprises canadiennes peuvent donc être confrontées à un choix difficile : continuer de faire des affaires aux États-Unis, qui demeurent le plus grand acteur au monde dans le secteur spatial et le meilleur client de l'industrie canadienne, ou essayer de pénétrer le marché en forte croissance de la Chine et d'autres pays.

Le dernier défi concerne l'absence de capacité de lancement au Canada, ce qui signifie que l'ASC et les entreprises canadiennes doivent avoir recours aux systèmes de lancement d'autres pays pour mettre des satellites en orbite. Cette dépendance peut entraîner des retards, des complications opérationnelles et des dépassements de coûts, et le problème peut s'aggraver si l'utilisation de petits satellites continue de croître rapidement.

Les possibilités et les défis auxquels fait face le secteur spatial canadien indiquent la voie à suivre.