Volume 1 : Au-delà de l’horizon : les intérêts et l’avenir du Canada dans l’aérospatiale – Novembre 2012

Sommaire

Le Canada est l'une des puissances mondiales dans le secteur de l'aérospatiale. Son industrie aérospatiale est la cinquième en importance au monde, et la deuxième plus grande par rapport à la taille de son économie.

L'industrie aérospatiale canadienne génère des revenus de 22 milliards de dollars par an, compte 66 000 employés, exporte 80 % de sa production et se classe au deuxième rang au pays pour l'intensité de la recherche. Cette industrie comprend le troisième plus grand constructeur d'avions commerciaux au monde, Bombardier, et un large éventail de chefs de file mondiaux dans différents segments — hélicoptères, trains d'atterrissage, simulateurs, moteurs, aérostructures ou services d'entretien et de réparation. Il s'agit d'un secteur stratégique dans tous les sens du terme.

Les réalisations passées ne sont toutefois pas garantes des réussites de demain. Les conditions observées au cours des dernières décennies cèdent la place à des tendances mondiales nouvelles et fondamentalement différentes, qui modifient en profondeur le contexte concurrentiel.

L'industrie aérospatiale se voit transformée par des pays en pleine ascension prêts à utiliser les ressources et l'influence de l'État pour développer leur propre industrie aérospatiale. Les actions de ces pays créent de nombreux nouveaux défis pour les entreprises aérospatiales canadiennes.

Parallèlement, la chaîne d'approvisionnement en aérospatiale se mondialise à mesure que des constructeurs comme Boeing, Airbus et Lockheed Martin parcourent le monde à la recherche de systèmes et de composants, réduisent le nombre de fournisseurs avec lesquels ils sont disposés à faire affaire, et obligent ces derniers à investir dans la recherche et la conception de systèmes qui sont conformes à leurs exigences sur le plan de la performance. Il faut compter des années pour développer et mettre en marché un nouvel aéronef, qui pourra demeurer en service pendant des dizaines d'années. Une entreprise exclue aujourd'hui de la chaîne d'approvisionnement risque de perdre des ventes et de rater des occasions d'affaires durant des décennies.

Les dépenses de défense des plus proches alliés du Canada vont en diminuant, ce qui réduit les marchés pour les produits aérospatiaux militaires canadiens. Les activités civiles et militaires d'entretien, de réparation et de révision (ERR) — qui ont alimenté un sous-secteur ERR vigoureux au Canada — sont de plus en plus effectuées par les fabricants eux-mêmes à la recherche de marges bénéficiaires supérieures au titre du « service après-vente ». Pendant ce temps, la main-d'œuvre hautement qualifiée qui a été le pivot de l'industrie aérospatiale canadienne prend de l'âge, ce qui soulève le risque d'une pénurie de compétences essentielles.

Bien entendu, les changements fondamentaux créent aussi de nouvelles possibilités. Le marché des aéronefs à faible consommation de carburant qui répondent aux préoccupations environnementales et commerciales est en hausse. Alors que le Nord s'ouvre à un accroissement du transport et de l'extraction des ressources, on a besoin d'aéronefs permettant de parcourir de longues distances dans des conditions difficiles et glaciales pour aider à repérer et à mettre en valeur les ressources naturelles, à protéger l'environnement, à approvisionner les collectivités et les installations éloignées des centres de population du Sud, et à intervenir en cas d'urgence. Et comme les préoccupations concernant la sécurité évoluent actuellement pour se centrer sur les menaces non conventionnelles, on observe une demande pour les technologies aériennes permettant d'exercer une surveillance toujours plus complexe et assurant une capacité de frappe extrêmement précise.

Le secteur canadien de l'aérospatiale se trouve donc à un tournant décisif. L'urgence de la situation est à l'origine du présent Examen des politiques et des programmes liés à l'aérospatiale. Pour que le secteur continue à prospérer et à bénéficier à l'ensemble du pays, tous les acteurs — les entreprises, les établissements d'enseignement supérieur et de recherche, les syndicats et les gouvernements — doivent comprendre les nouvelles réalités et s'y adapter. Le succès repose sur le développement des technologies de demain et la concrétisation de ventes dans un contexte mondial hautement concurrentiel.

Au bout du compte, ce sont les entreprises aérospatiales privées qui détermineront l'avantage concurrentiel dans la nouvelle économie mondiale. Mais des politiques et des programmes publics judicieux, ciblés et mis en œuvre de façon appropriée peuvent jouer un rôle crucial pour faciliter le succès, en encourageant les innovations aérospatiales qui comportent un énorme risque financier et un long délai d'exécution, en améliorant l'accès de l'industrie aux chaînes d'approvisionnement et aux marchés mondiaux, en tirant parti des marchés publics pour appuyer le développement industriel et en aidant à assurer la présence d'une main-d'œuvre qualifiée et souple.

Ce volume recommande que :

  1. la liste des secteurs stratégiques dans la Stratégie des sciences et de la technologie du gouvernement soit allongée pour inclure l'aérospatiale et l'espace;
  2. le gouvernement établisse une liste de technologies prioritaires pour orienter les politiques et les programmes liés à l'aérospatiale;
  3. le gouvernement crée un programme pour appuyer la démonstration de technologies aérospatiales à grande échelle;
  4. le gouvernement maintienne à son niveau actuel le financement de l'Initiative stratégique pour l'aérospatiale et la défense (ISAD) — déduction faite des réaffectations recommandées dans ce volume — et qu'il modifie les modalités de l'ISAD afin d'en faire un programme plus efficace pour stimuler le développement des technologies aérospatiales et spatiales de l'avenir;
  5. le gouvernement participe au financement d'une initiative pancanadienne pour faciliter la communication et la collaboration entre les entreprises aérospatiales, les chercheurs et les établissements d'enseignement supérieur;
  6. les procédures de demande et de présentation de rapports pour les programmes utilisés par l'industrie aérospatiale soient simplifiées et rationalisées, en particulier dans le cas des petites entreprises qui demandent une aide modeste, et qu'un portail Internet à guichet unique soit utilisé pour donner de l'information sur ces programmes et fournir des liens pour les trouver;
  7. le gouvernement s'efforce de faire participer les acteurs émergents de l'industrie aérospatiale à des accords multilatéraux créant des conditions équitables et compétitives pour les entreprises aérospatiales canadiennes, et de faire clarifier les règles régissant l'aide publique aux industries aérospatiales nationales;
  8. le gouvernement négocie des accords bilatéraux avec les pays où un marché potentiel et des possibilités de partenariat sont susceptibles de bénéficier au Canada et aux secteurs canadiens de l'aérospatiale et de l'espace;
  9. la diplomatie économique de haut niveau soit utilisée d'une manière réfléchie et explicite pour encourager les entreprises et les gouvernements étrangers à envisager favorablement les produits aérospatiaux canadiens;
  10. le gouvernement examine les régimes de contrôle des exportations et de contrôle intérieur pour s'assurer qu'ils ne sont pas inutilement restrictifs et que les permis d'exportation sont délivrés promptement;
  11. le gouvernement mette en œuvre un mécanisme de recouvrement intégral des coûts liés à la certification de la sécurité des aéronefs;
  12. le gouvernement participe au financement d'initiatives visant à renforcer la chaîne d'approvisionnement canadienne en aérospatiale;
  13. lorsque le gouvernement cherche à faire l'acquisition d'aéronefs et d'équipement lié à l'aérospatiale, chaque soumissionnaire soit obligé de présenter un plan détaillé en matière de retombées industrielles et technologiques faisant partie intégrante de sa proposition, et qu'on accorde à ce plan un facteur de pondération dans le choix de la soumission retenue;
  14. lorsque le gouvernement cherche à faire l'acquisition d'aéronefs et d'équipement lié à l'aérospatiale, chaque soumissionnaire soit obligé de s'associer avec une entreprise canadienne pour le soutien en service et de fournir à cette dernière le travail et les données lui permettant de renforcer sa capacité interne et d'avoir accès aux marchés mondiaux;
  15. les programmes fédéraux soient utilisés — en collaboration avec l'industrie, le milieu académique, les syndicats et les provinces — pour inciter les jeunes à étudier en sciences, en technologie, en ingénierie et en mathématiques en général, et à faire carrière dans les industries aérospatiale et spatiale en particulier, pour aider les étudiants des collèges et des universités à acquérir des compétences pertinentes, pour faciliter la transition des nouveaux diplômés vers le monde du travail dans les industries aérospatiale et spatiale, et pour attirer des travailleurs qualifiés des industries aérospatiale et spatiale de l'étranger lorsque les efforts déployés pour accroître l'offre de main-d'œuvre au Canada ne permettent pas de répondre à la demande;
  16. des mécanismes soient développés pour appuyer les efforts déployés par les entreprises aérospatiales afin de s'assurer, grâce au perfectionnement continu des compétences, que leur effectif demeure souple et à la fine pointe de la technologie;
  17. le gouvernement finance — conjointement avec l'industrie, les provinces et les établissements d'enseignement supérieur et de recherche — l'acquisition et l'entretien des infrastructures de pointe qui sont nécessaires pour assurer la formation et la recherche dans le domaine de l'aérospatiale.

Ces recommandations sont pratiques et neutres sur le plan financier, et elles tombent nettement dans le champ de responsabilité du gouvernement dans une économie de marché. Elles ne remplacent pas le jugement des marchés privés par celui du gouvernement, ni les fonds des investisseurs privés par des fonds publics. Mais elles améliorent la clarté des objectifs, éliminent des obstacles à la performance et encouragent la collaboration et le partenariat. Si elles sont mises en œuvre, elles créeront des conditions propices au succès de l'industrie aérospatiale, en réduisant les facteurs de vulnérabilité et en permettant aux entreprises canadiennes de mieux tirer parti des possibilités sur le marché mondial.

Dans un contexte économique international où le changement s'opère à un rythme vertigineux, les plus grands risques proviennent d'une attitude de suffisance et de l'incapacité à s'adapter. L'inertie mettrait en péril l'un des secteurs industriels les plus importants du pays et, par ricochet, les avantages cruciaux sur le plan de l'économie, de la technologie et de la sécurité découlant d'une industrie aérospatiale vigoureuse et concurrentielle.